Titre de la séquence : La science est- elle le modèle de toute connaissance ?
(2heures)
Exercice pour débuter : Etablir une carte mentale sur la science
Cours 1 / Introduction : Qu'est ce que la science ? Quelles sont ces caractéristiques ?
Dans le langage courant, nous ne distinguons pas toujours nettement les termes « savoir » et « connaître ». On peut aussi bien dire : « tu sais quels acteurs jouent dans ce film ? » et « Tu connais les acteurs du film ? ». Pourtant il existe une différence importante qu’il convient de préciser pour saisir l'idée même de science.
Prenons un exemple : On sait tous que, si on laisse tomber un objet comme un stylo, il va tomber sur le sol. Il suffit d’observer ce qui se passe pour le savoir, l’habitude permet d’anticiper la trajectoire de cet objet avant qu'il n’atteigne le sol. Pourtant ce savoir acquis par l’observation ne répond pas à la question : « pourquoi » ? Pourquoi le stylo tombe-t-il par terre puis reste t-il "immobile" sur le sol ? [1]
Or, c’est à partir du moment où l’on se pose la question : « pourquoi les phénomènes se produisent comme on les voit et pas autrement » que la science commence. C’est l’étonnement qui est le point de départ de la recherche scientifique explique Aristote [2]. Cet étonnement conduit à rechercher les causes au lieu d'en rester à un simple constat.
Le point d’aboutissement de cette recherche se trouve généralement dans le formulation d'une « réponse » qu’on estime suffisamment précise, claire et sûre pour être acceptée. De nos jours, on explique, pour reprendre l'exemple cité, que le stylo « tombe » en raison de la loi de l’attraction universelle, nom donné à la théorie de Newton d’après laquelle tous les corps s’attirent en fonction de leurs masses et de leurs distances. Newton a formulé cette loi physique en termes mathématiques ce qui permet de calculer la trajectoire et la vitesse d’un corps en mouvement[3]. Ainsi grâce à la physique nous possédons une connaissance à la fois précise et vérifiée du phénomène de la chute des corps.
On peut donc retenir que :
La science est une connaissance qui permet d'expliquer un phénomène, d'en rendre compte en indiquant quelles sont les causes qui le produisent. Cette connaissance des causes permet d’anticiper et parfois de modifier les phénomènes. [4]
Mais les sciences ne sont pas les seules sources d'explication des phénomènes. Comment distinguer alors l’explication scientifique d’autres types d’explications comme celles apportées par les mythes ou les religions par exemple ?
La différence tient dans le fait que la recherche et l’explication scientifique relèvent de la raison et de la seule raison ; la science est une explication rationnelle. Les méthodes de la science sont celles qui ont été élaborées par la raison. Il revient à la raison et à elle seule d’élaborer une explication par l’observation, la logique, le calcul. Aucune puissance « surnaturelle » n’est mise en jeu pour expliquer les phénomènes [5]. De ce fait, la science est en principe valable pour toute personne qui fait usage de la raison sans qu'il ne lui soit nécessaire de recourir à des convictions ou des croyances personnelles. L'explication scientifique vise l'universalité.
La science possède un autre caractéristique importante, c'est un savoir théorique. THEORIA est mot grec formé sur la racine : « orao » qui signifie voir. Toute science donne un modèle qui permet de « voir » c’est-à-dire de se représenter la réalité. (Attention il s’agit d'une "vision de l'esprit", d'une représentation mentale et non de l'observation directe par l'organe de la vue). Les atomes, l’ADN, la tectonique des plaques ne sont pas des réalités visibles à l'œil nu , ce sont des représentations qui permettent de modéliser la réalité et d’en avoir une image mentale ou une représentation. Ce savoir théorique qui caractérise la science est distinct du savoir faire technique qui peut très bien se dispenser d'une telle représentation et être toutefois efficace. Le forgeron ignore peut être les lois de la chimie sur la fusion des métaux mais il sait reconnaître le rougement du métal dans sa forge, cette couleur qui lui indique que c'est le bon moment pour le sortir le métal du fourneau, lui donner une forme et le refroidir brutalement. Son savoir faire est liée à l'expérience et aux nombreux échecs qui ont patiemment affiné sa méthode.
Enfin l’une des caractéristique fondamentale de la science réside dans l’importance accordée aux « preuves » en particulier celles qu’apportent la démonstration et l’expérimentation. L’efficacité technique qui résulte de l’application des théories scientifiques est aussi une manière indirecte de « prouver » la validité des théories même si ce critère reste discuté. []
En somme la science ne se limite pas à un simple constat des faits mais elle apporte des explications grâce à des théories, ces explications sont fondées sur une démarche rationnelle et validée par des preuves. Ainsi la science est considérée comme le degré suprême de la connaissance, le modèle même de toute connaissance [7].
Toutefois cette définition générale de la science ne doit pas pour autant masquer les difficultés et les problèmes qui surgissent dès lors que l’on cherche à élaborer une science en particulier [8], c’est dire à dire une connaissance objective de la réalité qui est également associée à la « vérité ».
En effet, la science a progressé mais non pas de façon linéaire, elle connaît des moments de crises et des révolutions successives se sont produites bouleversant les paradigmes. De plus, ces progrès sont également liés à une limitation du questionnement de la science. Les questions auxquelles la science n’est pas en mesure de répondre, notamment celles de l’origine et de la finalité, ont été qualifiées péjorativement de « métaphysiques »[9], c’est dire pour simplifier d’insolubles. De même la dichotomie entre « fait » et « valeur » qui s'est imposée pour garantir l'objectivité du discours scientifique à également eu pour conséquence d’exclure du champ de la science les questions morales et politiques. Le statut des « sciences humaines » reste lui aussi problématique.
Questionnement
La science peut-elle alors vraiment prétendre être le modèle de toute connaissance ? Faut-il utiliser le terme connaissance uniquement dans le strict cadre d'une démarche scientifique et rejeter tous les autres « savoirs » au simple rang d’opinions ou de croyances ?
Comment distinguer également la « vraie science » des pseudos savoirs qui prétendent revêtir ce titre « honorifique » de « connaissance scientifique » ?
Pour traiter ces questions, nous suivons le questionnement suivant :
I/ Pourquoi la science apparaît-elle le modèle de la connaissance ?
II/ La science permet-elle d’établir la vérité ?
III/ Pourquoi le modèle de la science est remis en cause ? Quels sont les risques de ce rejet ?
IV / Comment envisager la science ? Est-ce un résultat ou un processus ?
[1] Sur l’analyse de cet exemple, voir J.P Jouary, Entrer en philo.
[2] Le terme « immobile » est lui-même imprécis car le mouvement dépend d’un référentiel. Le stylo est en mouvement si on prend comme référentiel le soleil par exemple. Voir le site sur les lois de Newton - https://www.methodephysique.fr/lois_de_newton/
[2] Aristote définit la science par la connaissance par les causes. Mais ce terme « cause » est lui-même source d’ambiguïté. La théorie des 4 causes d’Aristote a été rejetée avec la science physique du 17ème siècle.
[3] Voir le texte d’Aristote extrait de son œuvre Métaphysique (livre A,2)
[5] Voir les textes des présocratiques qu’on appelle aussi « les premiers physiciens ». Ils expliquent les phénomènes uniquement à partir de cause naturelles (mouvements de l’air, de l’eau).
[6] Cette réflexion sur les sciences fait partie de l’épistémologie qui traite des méthodes et des limites des connaissances en général ou des méthodes propres à des sciences particulières.
[7] Littéralement le terme « métaphysique » signifie « au delà de l’expérience », qui dépasse les limites de l’expérience.
[3] Il existe de nombreux débats sur le critère de l’efficacité pratique. Cette efficacité est elle suffisante pour prouver ou démentir une théorie ?
[4] Lexique la philosophie de A à Z p405= C’est une connaissance éminente (supérieure, la plus haute), théorique (elle apporte des modèles pour expliquer) et universelle (valable pour tous les Hommes).
Cours 2
(2heures)
Rappel du titre de la séquence : La science est- elle le modèle de toute connaissance ?
I/ Pourquoi la science apparaît- elle comme le modèle de la connaissance ?
Le mot science peut être pris dans un sens assez large, elle désigne alors la connaissance, et dans un sens plus restreint elles désigne un certain nombre de disciplines dont les méthodes sont jugées fiables et rigoureuses comme les sciences formelles (maths, logique), les sciences de la nature (physique, chimie) et plus récemment les sciences de l'Homme (sociologie, ethnologie).
Nous allons nous intéresser dans cette partie du cours à la science en général, c'est à dire un modèle de connaissance que l'on peut définir et opposer à d'autres formes de savoir.
Nous avons vu qu’il est possible d’établir une distinction entre le savoir et la connaissance. La science représente le degré le plus haut du savoir de par sa rigueur, son exactitude, sa précision et même si ses méthodes ont beaucoup évolué, on estime néanmoins que la science parvient à un degré d’objectivité bien supérieur aux simples opinions. Ainsi l’expression « c’est prouvé scientifiquement » intervient souvent dans un débat, une discussion pour soutenir une affirmation que l’on juge incontestable. Mais que signifie véritablement cette expression ? Quel est le bien fondé des preuves scientifiques ?
1/ La science = la connaissance éminente (la plus haute)
L’idée de science est constitutive de la philosophie elle-même et se trouve définie dans l’opposition aux autres « savoirs » et croyances. Ainsi Platon et Aristote distinguent très clairement la science (épistémè) et l’opinion (doxa).
Nous allons voir pour quelles raisons, il paraît légitime de distinguer la science (connaissance la plus haute) et l'opinion.
Qu’est-ce que l’opinion ?
L’opinion désigne un simple avis subjectif ( ex : « les roses sentent bon ») mais qui est reconnu comme tel ( j’accepte que les autres ne partagent pas cet avis et puissent ne pas apprécier l’odeur des roses) ou bien l’opinion peut être un jugement que l’on sait incertain (ex : je crois que mon ami ne va pas venir à la fête car il était fatigué, c’est mon opinion mais je ne suis pas certain). Il s’agit dans ce cas d’une probabilité et non pas d’une certitude.[1]
Toutefois l’opinion peut aussi prétendre à une forme d’objectivité et peut porter soit sur des valeurs (exemple :" X est le meilleur président de ce pays !") soit sur des faits (Ex : « la terre est ronde »).
L’opinion qui se présente comme une « vérité objective » s’accompagne souvent d’un sentiment de certitude parfois inébranlable[2]. Or c’est contre ce type d’opinion qu’il faut d’abord « lutter » pour construire la science comme le souligne G.Bachelard dans son texte La formation de l’esprit scientifique. Ces opinions qui sont des dogmes empêchent le progrès de la connaissance ; ce sont des obstacles épistémologiques.
On
comprend bien que, si l’opinion peut parfois être « vraie », cela
peut être pour de mauvaises raisons ou par pur hasard. Pour le montrer nous allons établir plus précisément les différences entre l’opinion et la science.
Les fondements de l’opinion :
L’opinion peut avoir trois fondements :
L'opinion se fonde sur ce qu’on nous a appris, sur ce qu’on nous a dit ou sur ce que d’autres pensent.
L’opinion se fonde sur ce que l’on voit (et plus largement sur le témoignage des sens).
L’opinion se fonde sur notre expérience.
Or ces sources sont incertaines :
Si notre opinion se fonde sur ce qu’on nous a transmis, il peut s’agir de préjugés, d’idées reçues voire de mensonge. L’opinion du plus grand nombre n’est pas non plus un gage de vérité[3].
Si l’opinion se fonde sur ce que l’on voit, on peut être victime d’une illusion.
(ex : on voit que le soleil avance dans le ciel à le soleil est en mouvement et la terre est immobile à géocentrisme).
Sur notre expérience : l’opinion est généralement mieux établie mais il faut savoir que l’expérience humaine est limitée. Si on généralise l’expérience qu’on a vécu on risque de se tromper[4].
L’opinion n’apporte pas de preuve suffisante de ce qu’elle affirme et même si elle peut parfois s’accorder avec le « vraie », elle demeure insuffisante sur le plan de la connaissance (car elle n’est pas justifiée).
Les fondements de la science :
En revanche, la science a un fondement différent : c’est une connaissance qui se fonde sur la raison. La raison tient une place centrale dans la construction de la connaissance scientifique.
Pour comprendre ce que cela signifie nous pouvons d’abord indiquer que la science est une connaissance qui se fonde sur des concepts ou des idées[5].
Prenons l’exemple de la géométrie – Si on dessine un triangle, il s’agira toujours d’un triangle particulier dont le tracé est assez irrégulier. Si on mesure la somme de ces angles, il y a des chances qu’on ne trouve pas exactement 180°.
A l’inverse, le concept du triangle est clair, sa définition est simple, c’est une figure composée de trois côtés et dont la somme des angles est égal à 180°, ce qui correspond à l’angle d’une ligne droite. (en effet si on ‘déplie’ le triangle, on obtient une droite dont l’angle est égal soit à 0° soit à 180°). C’est cette idée du triangle qu’il faut établir ensuite les démonstrations.
Ainsi le premier travail de la raison est d’élaborer des concepts qui serviront d’instruments ou d’outils dans le développement de la science [6]
Le point de départ de chaque science est un ensemble de concepts. Pour la physique d’Aristote le concept principal est celui de « Nature » ; pour la physique de Newton, le concepts important est celui de la conservation du mouvement par exemple.
Exercice : Choisir une science et indiquez sur quel(s) concept(s) important(s) elle se fonde.
On peut indiquer que les premiers concepts sont souvent dérivés de l’expérience (comme nous pouvons le constater avec les concepts de la science physique d’Aristote par exemple) puis ils sont de plus en plus indépendants de l’expérience (le concept du mouvement en physique de Newton ne correspond plus à notre «expérience immédiate). Le processus qui permet d’élaborer un concept se nomme l’abstraction.
La science commence véritablement lorsqu’on pense à partir de notions clairement définies par la raison. Ce modèle de clarté est repris par Descartes ou encore Spinoza qui cherchent à élaborer leurs œuvres à la manière des géomètres ("more geometrico" c'est-à-dire à la façon des géomètres).
La science constitue bien un modèle, l'idéal type de la connaissance. Cependant ce modèle pourra remis en question comme nous le verrons dans la suite du cours.
[1] Voir le texte d’Aristote : Seconds Analytiques I,33
[2] Hormis dans le cas de la mauvaise foi.
[3] Voir sur ce point le texte de Descartes Règles pour la direction de l'esprit, 1629, Règle III,
[4] C’est ce que souligne Leibniz avec son exemple du décompte des journées selon les zones géographiques. Préface aux Nouveaux essais sur l’entendement humain, G. W. Leibniz
[5] Réf : Voir Platon – Allégorie de la caverne
[6] Ce travail d’élaboration des concepts n’est pas toujours apparent car dans les cours de sciences car les concepts sont souvent exposés sous forme de définitions ou de principes qu’il faut accepter et apprendre pour réaliser les exercices.
Cours 3
(2heures)
II La science permet-elle d'établir la vérité ? Le rôle des preuves.
Nous avons pu établir que la connaissance commune et la science diffèrent dans leurs fondements. La science est une connaissance rationnelle qui se fonde sur des concepts. Elle repose en outre sur un processus de vérification, de "mise à l'épreuve" des énoncés. Rien ne doit être affirmé qui n'ait au préalable été prouvé. C’est la raison pour laquelle cette démarche scientifique apparaît comme la plus propice pour établir la « vérité » [1] ou en d’autres termes permettre de connaitre la réalité objective.
Nous allons examiner les différentes méthodes mises en œuvre pour établir des preuves et nous verrons également leurs limites.
1/ Qu’est-ce que démontrer ?
La démonstration est un raisonnement par lequel on prouve la vérité d’une proposition, d’une affirmation ou d’une loi scientifique en la rendant évidente. En mathématiques qui est son domaine privilégié, la démonstration s’effectue avec un raisonnement par déduction à partir d’autres propositions qu’on nomme les prémisses. Celles-ci sont admises comme vraies ou préalablement démontrées pour aboutir à l’énoncé d’une conclusion certaine.
Démontrer consiste à établir un raisonnement dont la conclusion est indiscutable. Elle s’impose alors avec nécessité (ce qui est nécessaire ne peut pas être autrement) ce qui entraine un sentiment de certitude.
Cette démarche démonstrative apparaît d’abord avec les mathématiques mais elle est présente dès qu’il s’agit de valider une théorie[2].
Quelques remarques :
La démonstration ne nous a rien appris puisque nous connaissions le résultat à obtenir. Le but de la démonstration réside principalement dans le fait de prouver, c’est-à-dire d’établir la nécessité de ce qui est affirmé.
Cette nécessité entraîne une certitude. La démonstration peut ainsi convaincre ( # persuader) et faire disparaître les doutes. Toute personnes qui suit ce raisonnement abouti à une conclusion identique. La vérité à laquelle on parvient est donc en principe universelle.
De plus pour démontrer, nous n’avons pas mesuré et observé la figure mais nous avons raisonné à partir des propriétés et des définitions des figures. Plus précisément nous avons opéré une série de déductions. Il s'agit d'une connaissance rationnelle et non fondée sur les données empiriques (ce que l'on connaît pas la vue et les autres sens).
La certitude de la démonstration repose donc sur deux éléments :
- La « vérité » des définitions qui constituent le point de départ (ou les prémisses) du raisonnement.
- La démarche du raisonnement lui-même. (Les différentes étapes par lesquelles on est passé pour établir les déductions). Il s’agit d’un raisonnement déductif qu’on nomme également discursif (parce qu'on utilise des propositions, des phrases dans un discours).
Le fondement de la démonstration est donc un raisonnement logique. Il est donc nécessaire d'examiner plus précisément les les opérations logiques qui fondent la démonstration.
2/ La logique :
La science qui étudie les raisonnements est la logique. Aristote est le fondateur de cette discipline[1]. Il expose en premier lieu les principes de la logique.
Les principes de la logique sont les suivants :
- Le principe d’identité.
- Le principe de non contradiction,
- Le principe du tiers exclu.
Le principe d’identité :
C’est le principe le plus général et le plus simple. On peut le formuler de la façon suivante : « une chose est ce qu’elle est et pas autre chose ».
Prenons un exemple de déduction pour comprendre l’importance de ce principe.
Toutes les femmes sont mortelles et Diane est une femme
Donc Diane est mortelle.
Dans ce raisonnement nous avons plusieurs fois fait référence à « Diane».
La déduction n’est valable que si on parle bien de la même personne tout au long de la déduction et qu’elle conserve son identité. (Si elle devenait une Déesse ou se transformait en homme alors le raisonnement ne fonctionnerait plus). Pour que le raisonnement soit valide, il faut donc que les choses restent les mêmes et conservent leur identité. [2]
Le principe de non contradiction :
Si deux propositions s’opposent sur un même « sujet » considéré sous le même rapport alors l’une est vraie et l’autre fausse.
Prenons un exemple :
Si la proposition : « Socrate est un Homme » est vraie alors cela implique que la proposition contraire : « Socrate n’est pas un Homme » est fausse.
On peut aussi formuler ce principe de la façon suivante : « une même chose ne peut pas être et ne pas être si on la considère au même moment sous le même rapport ».
Le principe du tiers exclu : Une proposition construite sous la forme d’une affirmation ou d’une négation (ex : « la terre est ronde ») peut être soit vraie soit fausse. Il n’y a pas d’alternative, de troisième voie possible. La logique est binaire, elle n’accepte que ces deux valeurs [3].
Aristote analyse dans une seconde étape la construction des raisonnements logiques. La forme type de la déduction logique est le syllogisme. C'est un raisonnement déductif qui à partir de deux ou plusieurs prémisses aboutit à une conclusion nécessaire.
Prenons un exemple de syllogisme :
Si tous les Hommes sont mortels et si Socrate est un Homme alors Socrate est mortel.
La conclusion s’impose logiquement.
L’étude des syllogismes permet de distinguer les raisonnements bien construits et les raisonnements qui sont mal construit. Ceux derniers comportent des « fautes » logiques. Lorsque la faute est involontaire, il s’agit d’un paralogisme, lorsque l’erreur est intentionnelle, il s’agit d’un sophisme.
Exercice sur les syllogismes
La déduction logique est l’une des principales opérations du raisonnement, elle s’appuie sur des règles logiques. Cependant, on peut examiner les limites de cette déduction logique.
3/ Vérité formelle et vérité matérielle :
Kant écrit dans la Critique de la raison pure que la logique concerne que « la forme du raisonnement » et non son contenu. Il est tout à fait possible de procéder à une déduction valide en respectant les règles de la logique et pourtant aboutir à une conclusion erronée si les prémisses sont fausses. La conclusion bien que cohérente logiquement et bien déduite n’est pas « vraie » car elle ne correspond pas à la réalité. La cohérence formelle ou vérité formelle est alors sans doute une condition nécessaire mais pas encore suffisante pour garantir la vérité « matérielle » ou la conformité de la pensée avec la réalité.
Prenons un exemple de syllogisme bien construit (valide) mais dont la conclusion est « matériellement fausse ».
Si tout ce qui vole dans le ciel à des plumes et si un avion vole dans le ciel alors un avion a des plumes.
D’où vient l’erreur ? Elle vient de la première prémisse (« tout ce qui vole dans le ciel à des plumes ») qui est trop générale. Ainsi la vérité de la conclusion d’un raisonnement logique dépend de la vérité des prémisses. Mais comment savoir si les prémisses sont vraies ? Pour ne pas tomber dans une régression à l’infini, il faut que l’on puisse connaître la vérité des prémisses autrement que par déduction. C'est ici que se pose le problème de la connaissance des premiers principes.
Quelles sont les fondements de la science ?
Le problème de la connaissance des premiers principes.
(2heures)
La connaissance des premiers principes :
Rappelons le problème : Les démonstrations reposent sur une chaine de déductions logiques qui remontent final à des propositions qu'il faut admettre comme des principes premiers, des premières vérités sous peine de tomber dans une régression à l'infini. Comment peut-on alors établir la vérité des premiers principes eux-mêmes ?
La connaissance des premiers principes fait l’objet d’une réflexion générale dans les théories de la connaissance, elle se pose aussi de façon aigue dans les différentes sciences lorsqu’il s’agit de réfléchir sur les « fondements théoriques » de chaque discipline.
En ce qui concerne les théorie de la connaissance nous allons examiner deux courants philosophiques opposés : le rationalisme et l’empirisme.
Pour le rationalisme, la connaissance se fonde sur la raison indépendamment des données des sens qui peuvent être trompeurs (illusion) et nécessairement limités.
A l’inverse, pour le courant empiriste, il est nécessaire de fonder les connaissances sur les données de l’expérience qui représentent à la fois le point de départ des connaissances mais aussi le critère ultime pour valider ou invalider une théorie. Nous allons voir comment le rationalisme et l’empirisme répondent à la question des premiers principes de la connaissance.
Comment le rationalisme répond à la question des premiers principes ?
Le rationalisme soutient que la raison est non seulement capable d’effectuer des déductions logiques mais qu'elle est aussi capable de connaître la réalité par une autre voie: l’intuition intellectuelle. L’intuition intellectuelle est la saisie immédiate d’une vérité grâce son caractère d’évidence. L’évidence devient ainsi le critère même de la vérité.
Descartes explique ces deux opérations de la raison et précise ce qu'il entent par l'intuition intellectuelle dans ce passage des règles pour la direction de l'esprit:
" Par intuition j'entends non pas le témoignage changeant des sens ou le jugement trompeur d’une imagination qui compose mal son objet, mais la conception d’un esprit pur et attentif, conception si facile, si distincte qu’aucun doute ne reste sur ce que nous comprenons; ou, ce qui est la même chose, la conception ferme d’un esprit pur et attentif qui naît de la seule lumière de la raison" (...)Ainsi, chacun peut voir par intuition qu’il existe, qu’il pense, que le triangle est défini par trois lignes seulement, la sphère par une seule surface, et des choses de ce genre, qui sont bien plus nombreuses que ne le pourraient croire la plupart des hommes
Voir le texte complet : TEXTE DE DESCARTES
a/ L’intuition intellectuelle et l’évidence
Descartes soutient donc que la connaissance se fonde sur des « vérités premières » qui sont si évidentes que l’esprit humain peut les saisir immédiatement pourvu qu’il soit « attentif ».
Prenons un exemple pour bien saisir le principe de l’évidence intellectuelle : si l’on additionne deux nombres positifs non nuls (3+5) alors leur somme (8) est supérieure à un seul de ces nombres. Nous n’avons pas à proprement parler effectué une déduction mais nous sommes passés de l’énoncé de départ à la conclusion de façon immédiate. Le mot intuition vient du latin intuitio qui signifie "voir", il s'agit en quelque sorte d'une vision de l'esprit.
Les mathématiques sont le domaine où les évidences sont les plus nombreuses comme le souligne le texte de Descartes mais ce dernier entend utiliser le critère de l'évidence de façon plus général puisqu'il s'agit du critère même de la vérité.
b/Le doute, le cogito
Descartes recherche pour chaque domaine de la connaissance un petit nombre de vérité premières. En ce qui concerne la métaphysiques, Descartes utilise le critère de l'évidence pour prouver l’existence de l’esprit humain. Utilisant le doute méthodique, Descartes remet en question l’existence de toutes choses mais au moment même où il porte le doute à son paroxysme et doute de toutes choses, il prend alors conscience que pour ainsi douter de tout, il est nécessaire de penser et que pour penser il faut nécessairement exister. Il écrit : « la proposition je suis, j’existe est nécessairement vraie toutes les fois qu’on la pense ou qu’on la prononce en notre esprit » (Méditations métaphysiques, seconde méditation) Cette conclusion qui était formulée dans le Discours de la méthode sous la forme d'une déduction (Je pense donc je suis) est restituée dans la saisie immédiate de l'intuition.
c/ La remise en question de l’évidence intellectuelle :
Descartes et les rationalistes en général cherchent à bien distinguer l'évidence intellectuelle d'une simple certitude subjective ou d'une opinion personnelle. Tout esprit serait capable de saisir l'évidence de certaines propositions tellesque celle-ci : " pour écrire ce texte, je dois exister" mais le critère de l'évidence est contesté pour deux raisons:
soit l'évidence n'apprend rien ( ex: un triangle à trois côtés) ,c'est évident mais cela ne nous apprend rien de nouveau sur le triangle.
soit l'évidence apporte une connaissance nouvelle mais elle sa justification n'est pas suffisante . C'est ce reproche qu'adresse Leibnit à Descartes lorsqu'il écrit : "Descartes a logé la vérité à l'hostellerie de l'évidence mais il a négligé de nous en donner l'adresse". En d'autres termes, les idées claires et distinctes qui font l'objet d'une saisie immédiate de l'esprit ne sont peut être pas si claires que cela.
Le modèle de l'évidence devient même selon Bachelard un obstacle contre lequel l'esprit scientifique doit lutter : "toute vérité nait malgré l'évidence" .
Ainsi le modèle rationaliste qui est celui de la science à l'époque classique cède progressivement sa place à un autre modèle celui de la science expérimentale.
Comment l’empirisme répond à la question des premiers principes ?
L'empirisme est la doctrine selon laquelle toutes les connaissances humaines proviennent directement ou indirectement des sensations c'est à dire de ce que l'on peut entendre, voir, toucher. Si nous savons que le feu brûle, c'est parce que nous en avons fait la douloureuse expérience. La science est certes une connaissance beaucoup plus élaborée que la sensation mais elle conserve un rapport de continuité avec savoir immédiat.
Cependant deux objections apparaissent lorsqu'on cherche à fonder la connaissance sur les données des sens:
- la fiabilité des sens qui sont souvent jugés trompeurs.
-le caractère limité de l'expérience
On peut toutefois répondre à ces objections:
-Les sens sont moins trompeurs que les constructions de l'esprit.
-C'est l'interprétation que l'on fait des données des sens qui est la principale source d'illusion et non les données des sens eux-mêmes. Il faut donc séparer les données empiriques et leur interprétation.
Sur le caractère limité de l'expérience , il est possible d' "étendre" les données des sens grâce à des instruments (télescopes, microscopes).
Reste toutefois une autre difficulté : comment la science peut elle énoncer des lois générales si elle se fonde sur des données empiriques limitées ? C'est ici qu'intervient un mécanisme mental qui peut être plus ou moins conscient, celui de l'induction. L'induction consiste à passer d'un grand nombre de cas à l'énoncé d'une règle générale. Un grand nombre d'expérience pourrait permettre d'aboutir à l'énoncé d'une loi générale.
Chez le philosophie anglais David Hume, l'habitude joue un rôle centrale dans l'élaboration du savoir: nous voyons depuis que nous sommes nés et que l'humanité existe le soleil se lever, la répétition du même phénomène crée une habitude qui elle-même donne lieu à une anticipation. Nous nous attendons à ce que demain le soleil se lève comme aujourd'hui et comme tous les jours passés. C'est ainsi que se forment les connaissances générales. L'induction est donc à l'origine des principes généraux qu'utilisent la science et qui constituent le point de départ des démonstrations. Dans le syllogisme bien connu d'Aristote (Tous les Hommes sont mortels, Socrate est un Homme donc Socrate est mortel) la première prémisse: "tous les hommes sont mortels" relève d'une induction. Nous avons vu jusqu'à présent tous les hommes mourir sans exception et cette répétition d'un même événement sur un nombre si élevé de cas permet de tenir pour vrai cette prémisse mais même si la probabilité qu'un Homme immortel existe est infiniment faible , elle n'est pas impossible. Donc la déduction elle même fondée sur une induction aboutit à une conclusion probable mais non certaine. Ainsi l'empirisme ne peut garantir de certitude absolue à la science dont les caractères d'universalité et de nécessité sont remis en cause cause.
Toutefois la certitude qu'entraine l'habitude n'est que subjective d'où le scepticisme qu'affiche Hume: ce que nous croyons savoir avec certitude ne que le fruit de l'habitude. En fondant la connaissance des vérités générales sur l'induction qui généralise l'expérience, on affaiblit les preuves car si chacun la généralisation ne peut garantir une fiabilité totale.
Bilan:
Pour examiner les fondements de la science, nous avons étudiés deux principaux courants de pensée dans la théorie de la connaissance ; le rationalisme et l'empirisme. Les vérités premières se trouvent pour le rationalisme (Descartes, Spinoza) dans une intuition intellectuelle, la raison est capable de saisir de façon immédiate la vérité par son caractère d'évidence. Cependant le critère de l'évidence est lui-même discuté et remis en cause (Leibniz). Si on se tourne du côté de l'empirisme les premiers principes sont établis par l'induction c'est à dire une généralisation de l'expérience mais celle-ci ne peut avoir qu'un caractère de probabilité et non de nécessité absolue. Dans les deux cas le modèle de la science en tant que connaissance parfaite - dont les vérités sont nécessaires et universelles- se trouvent remis en cause.
L'expérimentation et ses limites
Le terme vérité désigne dans son sens classique, l'accord de la pensée avec le réel. Cette définition suscite de nombreuses interrogations : Voir le cours sur la vérité.
Il existe un débat sur les expériences. Peuvent-elles à elles seules valider ou infirmer une théorie ?
" Par intuition j'entends non pas le témoignage changeant des sens ou le jugement trompeur d’une imagination qui compose mal son objet, mais la conception d’un esprit pur et attentif, conception si facile, si distincte qu’aucun doute ne reste sur ce que nous comprenons; ou, ce qui est la même chose, la conception ferme d’un esprit pur et attentif qui naît de la seule lumière de la raison" (...)Ainsi, chacun peut voir par intuition qu’il existe, qu’il pense, que le triangle est défini par trois lignes seulement, la sphère par une seule surface, et des choses de ce genre, qui sont bien plus nombreuses que ne le pourraient croire la plupart des hommes
Le terme vérité désigne dans son sens classique, l'accord de la pensée avec le réel. Cette définition suscite de nombreuses interrogations : Voir le cours sur la vérité.
Il existe un débat sur les expériences. Peuvent-elles à elles seules valider ou infirmer une théorie ?
Les œuvres d’Aristote consacrées à la logique sont regroupées sont le titre d’Organon (l’outil) ; on peut en particulier citer les premiers et les seconds analytiques.https://www.onelittleangel.com/sagesse/citations/aristote.asp?level=1
[2] La logique repose sur une conception de l’Etre ce qu’on nomme l’ontologie ( « science de l’être »). Ces questions sont examinées dans les œuvres d’Aristote regroupées sous le titre de La métaphysique.
[3] Il existe une difficulté concernant les propositions concernant l’avenir , ce qu’Aristote nomme les futurs contingents. Ce que l’on peut alors affirmer dans ce cas c’est que « ou bien demain il fera beau » ; « ou bien demain il ne fera pas beau ». La valeur du principe est donc conservée.
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