Le doute est une attitude intellectuelle qui consiste à remettre en question nos croyances, nos connaissances et nos certitudes. Il joue un rôle essentiel dans l’exercice de la pensée critique : en refusant d’accepter aveuglément les opinions établies, il permet de dépasser les préjugés et de se rapprocher d’une vérité plus objective. Ainsi, le doute apparaît comme un outil nécessaire à la construction du savoir et à l'accès à la vérité.
Cependant, jusqu’où peut-on étendre cette remise en question ? Faut-il douter de tout, y compris de nos convictions les plus profondes et de nos principes fondamentaux ? Un doute excessif ne risque-t-il pas de conduire à la paralysie intellectuelle et pratique, rendant impossible toute action et toute connaissance ? Dès lors, se pose la question des limites du doute : peut-on réellement tout remettre en question ou doit-on imposer des limites au doute ?
Nous verrons dans un premier temps que le doute est un instrument méthodologique fondamental, avant d’examiner ses limites théoriques, puis de montrer qu’un doute absolu est impossible d’un point de vue moral et pratique.
Le doute est nécessaire au développement de l’esprit critique. Comme l’affirme Socrate : « Croire savoir est la pire ignorance. » Le doute permet d’interroger nos croyances et nos opinions, ce qui est indispensable lorsque l’on cherche la vérité et que l’on souhaite exercer pleinement sa liberté intellectuelle. Ainsi, Socrate remet en question les préjugés de son époque en doutant de leur bien-fondé, illustrant l’importance du doute dans la quête du savoir.
Dans l' Enquête sur l’entendement humain, Hume critique la tendance de l’esprit humain à tirer des conclusions hâtives à partir de l’expérience. Il montre que nos connaissances reposent sur l’habitude et la généralisation qui ne garantissent pas une certitude absolue. Il faudrait alors toujours rester prudent dans ses affirmations.
Dans La logique de la découverte scientifique, Karl Popper explique que la science ne progresse pas par des certitudes, mais par des hypothèses réfutables. Une théorie est scientifique si elle peut être mise à l’épreuve du doute et éventuellement réfutée.
Une théorie qui ne pourrait pas être remise en question ne serait pas considérée comme scientifique. C’est le critère de réfutabilité qui garantit la scientificité d’une théorie. Ainsi, le doute est un moteur essentiel du progrès intellectuel.
Pyrrhon un philosophe grec adopte une position radicale soutenant que toute connaissance est impossible. En effet l'élément fondamental de la connaissance, c'est la justification (la preuve que l'on apporte à ce que l'on affirme) . Le scepticisme radical tente alors d'établir que toute tentative de justification aboutit à une impossibilité logique connue sous le nom du trilemme d'Agrippa. On tombe soit dans la régression à l'infini, soit dans un raisonnement circulaire (diallèle) ou dans un arrêt dogmatique. (affirmation sans preuve).
Pyrrhon et Agrippa concluent ainsi à l’impossibilité de toute connaissance. Mais une telle attitude est-elle vraiment tenable ?
Dans Les Méditations métaphysiques, Descartes pousse le doute à son extrême ; Il doute des sens, qui peuvent nous tromper. Il doute de la raison, qui peut faire des erreurs. Il remet même en question son existence avec l’argument du rêve. Cependant, il découvre, au moment même où il doute, une évidence qui met un terme au doute.
Le fait même de douter prouve que nous existons en tant qu’êtres pensants. Il montre ainsi que le doute total est impossible, car il repose sur une vérité irréfutable : l’existence du sujet pensant.
Descartes découvre une certitude indubitable : Cogito, ergo sum (« Je pense, donc je suis »).
Un doute absolu mène à une impasse : s’il est impossible de connaître quoi que ce soit alors aucune recherche n’est alors utile et le savoir ne progresserait pas. Or, depuis l’Antiquité, l’humanité n’a cessé de chercher à comprendre le monde, et ses connaissances ont considérablement évolué, bien qu'encore qu’imparfaites. Le scepticisme radical paralyse cette quête du savoir. De plus , il renvoie dos à dos les savoirs rationnels et les croyances irrationnelles comme les superstitions.
Merci à Sahiththiya pour cet argument !
Si le doute est utile , il ne peut être indéfini sans entraver notre capacité à agir. Dans la vie quotidienne il est nécessaire de s’appuyer sur des connaissances suffisamment éprouvées pour prendre des décisions et répondre aux exigences de l’existence.
Si l'on prend par exemple le domaine médical, on ne peut pas remettre en question indéfiniment l’efficacité d’un traitement sous peine de ne jamais soigner. C’est pourquoi les protocoles expérimentaux permettent d’évaluer rigoureusement les médicaments avant leur mise en application. De nombreuses expériences sont réalisées pour valider leur efficacité.
Merci à AYOUB pour cet argument !
De plus on pourrait inverser la charge de la preuve , si le scepticisme nous dit qu'on ne peut pas savoir que 2+2 font 4, c'est à lui de nous le démontrer et non pas à nous de lui prouver une vérité évidente que nous utilisons tous à tout moment. D'ailleurs mettons Pyrrhon au défi de faire ses courses ! Si un pain coute un euro et qu'il en achète 4 , acceptera t-il de payer 5 euros ? (2+2= 5).
Si tout est mis en doute, aucune valeur morale ne peut être établie de manière certaine. Un scepticisme moral absolu risque alors de conduire au relativisme total, où aucune distinction entre le bien et le mal ne peut être affirmée. Cela pourrait ouvrir la porte à la justification des pires crimes, sous prétexte que toute norme morale est discutable. Par exemple, face à la question « Est-il mal de tuer des enfants innocents ? », un sceptique radical comme Pyrrhon pourrait simplement répondre « Je ne sais pas » ou « Je suspends mon jugement », refusant ainsi de trancher sur des principes pourtant fondamentaux.
Le doute peut être exploité à des fins idéologiques et politiques pour remettre en cause des faits pourtant établis, comme le négationnisme ou la contestation d’autres crimes contre l’humanité. Une telle instrumentalisation du doute ne relève plus de la réflexion critique mais de la manipulation, visant à semer la confusion et à relativiser des événements historiques avérés. Pourtant, il existe des vérités historiques incontestables, fondées sur des preuves irréfutables, ainsi qu’un devoir de mémoire essentiel pour prévenir la répétition des atrocités passées. Dès lors, certaines remises en question ne sont ni légitimes ni acceptables, car elles menacent la justice et la dignité des victimes.
Le doute est un outil essentiel de la pensée critique et du progrès scientifique, permettant de remettre en question les préjugés et d’affiner notre compréhension du monde. Toutefois, il ne peut être absolu sans risquer de sombrer dans le scepticisme radical, qui conduit à une impasse intellectuelle et pratique. Il est donc crucial de fixer des limites au doute : un doute raisonné et méthodique favorise l’émergence de vérités plus solides, tandis qu’un doute excessif devient un frein à la connaissance et à l’action. Poussé à l’extrême, il peut même conduire à des dérives idéologiques dangereuses, notamment lorsqu’il est utilisé pour nier des faits historiques avérés, comme les crimes contre l’humanité. Quels sont alors les critères sur lesquelles fonder la vérité ?