EXPLICATION  DE TEXTE n°2

 

 

 

 

 

TEXTE :     «  C’est un fait que nombreux sont ceux qui ont, il y a bien des années déjà (…)

 

« mais ce savoir,  je ne le possède pas » . Edition GF : P86 à  P90

 

 

 

RAPPEL : TOUJOURS LIRE L’EXTRAIT AVANT L’EXPLICATION

 

Introduction

 

Situation du passage :

 

Le passage prolonge  une brève introduction dans laquelle Socrate soulignait la puissance de la rhétorique et exposait la façon dont il comptait lui-même s’exprimer.  Dans ce prologue, il indiquait aussi le plan qu’il comptait suivre : répondre aux accusations anciennes puis aux accusations récentes  -  Socrate aborde  donc conformément à ce qu’il avait annoncé l’examen des anciennes accusations afin de les préciser et d’y répondre le plus clairement possible.

 

 

 

Thème de l’extrait :

 

Dans ce texte, on se rend compte du poids des rumeurs (paroles anonymes qui se propagent par la bouche à oreille)  ainsi que de la force des préjugés. Socrate doit donc restaurer sa véritable identité par un récit  autobiographique.

 

 

 

Thèse

 

                Socrate soutient que ce sont les accusations anciennes qui sont les plus redoutables car elles se fondent sur des rumeurs qu’il est difficile de combattre, de plus les préjugés le concernant se sont enracinés dans l’esprit des juges alors qu’ils étaient encore jeunes.  

 

On peut ainsi établir un parallèle entre cet extrait et l’idée de Descartes qui souligne que : « nous avons tous été enfant avant que d’être homme » dans Le Discours de la méthode.    L’enfance apparaît comme la période dans laquelle une personne peut être facilement influencée car elle ne dispose pas encore complètement de l’usage de sa raison. Elle reste dépourvue des « armes intellectuelles » qui lui permettrait de réfuter les erreurs et de démasquer les mensonges.  A contrario, l’accès à la vérité suppose la capacité de douter et de remettre en question les évidences et les certitudes.   

 

 

 

Problématiques/questionnements :

 

Comment combattre les rumeurs et les préjugés ? Comment inciter les Hommes à penser par eux-mêmes ? (Cette incitation n’est elle pas d’ailleurs en soi contradictoire ?) – Ce problème est renforcé dans la mesure où les hommes préfèrent bien souvent s’en tenir aux apparences plutôt que de faire l’effort pour connaître la vérité (voir sur ce point l’allégorie de la caverne exposée par Platon au livre VII de la République).

 

 

 

 

 

Pour expliquer, ce passage nous allons suivre trois axes d’analyse :

 

 

 

1/ Les rumeurs sur Socrate  

 

2/ La nature des accusations colportées par les rumeurs

 

3/ La réponse à ces calomnies

 

 

 

1/ Les rumeurs sur Socrate

 

 

 

Les accusateurs les plus redoutables et les plus dangereux ne sont pas les personnes qui sont physiquement présentes en « chair et en os » car il serait alors possible de les interroger et de les réfuter mais ce qu’il y a de plus terrible ce sont les « bruits qui courent » sur une personne, les ragots qui se transmettent par la bouche à oreille, tous ces ouïes-dire qui crée une rumeur qui se répand comme une trainée de poudre.  

 

Citations du texte :   « mes premiers accusateurs sont encore plus redoutables » ; ils sont nombreux et  « on ne peut même par connaître le nom de ces accusateurs » excepté celui du poète Aristophane ;  Socrate est alors forcé de « sa battre contre des fantômes »

 

 

 

Les rumeurs qui courent sur Socrate ont donné naissance à des préjugés qui lui sont défavorables, ce sont des calomnies.   Beaucoup de personne croit connaître qui est véritablement Socrate alors même que la plupart des personnes présentes  dans le tribunal ne l’ont jamais fréquenté directement, tout juste peut être l’ont-ils aperçu sur la place publique lorsqu’il était en train de discuter avec d’autres citoyens.

 

 

 

Parmi ceux qui sont à l’origine des rumeurs, Socrate identifie toutefois le poète comique Aristophane qui a écrit une pièce de théâtre intitulée Les Nuées. Dans celle-ci, il se moque de lui en le caricaturant : dans une scène, on voit Socrate s’élancer sur une balançoire pour mieux voir ce qu’il y a dans le ciel ; il discute avec des jeunes pour leur apprendre à transformer une mauvaise cause en une bonne, à  désobéir à leurs parents….  Cette caricature est alors reprise comme un écho et on commence à calomnier Socrate. 

 

 

 

L’image de Socrate à travers ces rumeurs :

 

C’est d’abord l’image  dun savant qui s’intéresse aux phénomènes célestes : « les choses qui se trouvent en l’air »  et qui mène également « des recherches sur ce qui se trouve sous terre ».

 

C’est aussi  celle d’un sophiste qui retournent les opinions des personnes grâce à de discours bien tournés.

 

Socrate reformule lui-même l’accusation en donnant ainsi une forme précise aux rumeurs  (p88) :  « Socrate est coupable de mener des recherches inconvenantes sur ce qui se passe dans le ciel ou et sous la terre,  de faire de l’argument le plus faible, le plus fort »

 

                Mais en quoi pourrait-  il s’agir de conduites suffisamment graves pour qu’on puisse le traduire  en justice ? 

 

  Concernant la première accusation , on  peut supposer que ces recherches pourraient être mal vues car elles concernent les domaines des dieux :  les dieux de l’Olympe séjournent dans le ciel, les dieux infernaux se trouvent dans les profondeurs du sous-sol.  Ainsi vouloir tenter de connaître   ce qui se passe dans ces « lieux » serait déjà empiéter sur « le terrain » de la religion et serait donc sacrilège. Ce qui se passe chez les Dieux ne concerne pas les mortels.   

 

Par ailleurs, cette accusation sera précisée quand Socrate reformule les accusations d’impiété selon lesquelles on lui reproche d’affirmer que «  la lune et les autres astes ne sont que des pierres », de simples cailloux alors que d’après la religion populaire, ces corps célestes sont considérés comme des divinités.

 

 

 

La seconde accusation qui l’identifie à un sophiste fait de Socrate une personne qui apprend aux jeunes  à manipuler la rhétorique pour avoir toujours raison et  réussir à faire triompher n’importe quelle cause. Cet exercice est illustré par Gorgias dans l’Eloge d’Hélène.   Socrate exercerait donc comme ces sophistes une mauvaise influence sur les jeunes, corrompant leurs valeurs morales et l’enseignement de leurs parents. Cette accusation reprend les griefs que le peuple athénien adresse aux dirigeants et intellectuels qui avaient le pouvoir de la Cité entre leurs mains avant et pendant la guerre contre Sparte et dont les initiatives ont conduit à la défaite et la ruine d’Athènes.  Ainsi beaucoup de citoyens assimilent Socrate à l’un de ces intellectuels proches du pouvoir  qui auraient eu une influence délétère sur le comportement des hommes en particulier en affaiblissement leurs valeurs morales.

 

 

 

Comment Socrate entreprend -il de réfuter ces accusations ?

 

 

 

Socrate cherche à restaurer son image et rétablir sa véritable identité en arrachant ainsi le masque que ses accusateurs lui font porter sur le visage ; il devra mettre à nu sa vrai personnalité,  mais avant cela Socrate va tout simplement demander aux juges une chose très simple : réfléchir à partir d’eux-mêmes.   « C’est au témoignage personnel de chacun d’entre vous que j’en appelle »

 

Il existe beaucoup de ragots et de rumeurs  sur Socratemais ont t-il personnellement entendu Socrate  parler de ce qui se trouve dans les cieux ou dans les profondeurs de la terre ?  Cet appel à l’expérience personnelle est une première façon d’inciter à penser par soi-même.

 

Ce dont à fait soi -même l’expérience à une valeur de vérité plus forte que ce que l’on a entendu dire et il faudrait dans la mesure du possible se référer à cette source importante de vérité qu’est l’expérience.  

 

Plus encore il demande aux juges présents de parler entre eux pour confronter leurs expériences. Si aucun des juges présents n’a entendu Socrate parler sur ces sujets alors qu’ils sont très nombreux, ce serait la preuve aux yeux de Socrate qu’il n’a jamais évoqué ces sujets en public.

 

On peut toutefois s’interroger sur la valeur de cette preuve : les juges auraient ils assez de bonne foi pour avouer ne jamais avoir entendu Socrate discourir sur ces sujets ? Peuvent- ils aller à l’encontre des préjugés ? N’y a-t-il pas parmi les juges certaines personnes mal intentionnées qui pourraient dire qu’ils ont bien entendu Socrate parler de ces sujets. 

 

Le procédé de Socrate est d’autant plus curieux que d’ordinaire l’accusé faisait monter à la tribune une personne de bonne réputation pour plaider sa cause. Il aurait pu demander à un de ses amis comme Platon de plaider pour lui et jurer qu’il n’a jamais entendu parler Socrate de ce sujet mais il s’en remet au peuple. Est-ce naïf de sa part ou est ce un signe de confiance en la raison humaine ?

 

 

 

La réfutation de la seconde accusation, celle d’être un sophiste est plus difficile à comprendre car elle comprend une part importante d’ironie. Tout d’abord Socrate soutient que l’éducation est une question essentielle et que l’on doit admirer les personnes qui savent éduquer et rendre meilleur la jeunesse.   Mais il affirme qu’il n’a pas cette prétention contrairement à ce que prétendent les  sophistes.

 

Tout d’abord Socrate nomme un certain nombre de sophistes célèbres comme le sont Gorgias, Prodicos et Hippias.  Il cherche ainsi à mettre des noms sur le visage des sophistes pour mieux  s’en démarquer.  Ces sophistes ont deux particularités – ils passent de villes et villes – et se font payer leurs cours. A l’inverse Socrate n’a jamais quitté Athènes et il ne demande jamais d’argent à ceux qui viennent l’écouter.

 

 Socrate fait alors preuve d’ironie lorsqu’il dit que les sophistes sont capables de persuader les jeunes gens qui « sans rien payer peuvent fréquenter celui de leurs concitoyens qu’ils désirent , de délaisser ces fréquentations pour les fréquenter eux, en leur donnant de l’argent ».   En somme les sophistes sont habiles puisqu’ils détournent des jeunes d’un enseignement libre et gratuit (celui de Socrate ou d’autres citoyens) pour suivre leurs enseignements onéreux.

 

Il mentionne alors le cas de Callias (un des hommes les plus riches d’Athènes) qui avait offert à ses deux fils l’enseignement du sophiste Evenos moyennant une somme d’argent considérable (5 mines = 2 ans de salaire d’un artisan[1])   Avec ironie Socrate affirme que 5 mines sont bien peu de choses pour rendre un homme meilleur….  Mais Socrate sait bien que ce n’est pas avec l’argent que l’on rend les hommes bons. Or que cherche ceux qui vont écouter les leçons des sophistes ? A apprendre l’art de la parole pour triompher dans les débats pour acquérir ensuite acquérir à leurs tours le pouvoir et la richesse.  

 

De plus  si Socrate était un sophiste, il se ferait lui aussi payer un salaire important et aurait alors beaucoup de richesse ce qui est loin d’être le cas car tout le monde sait qu’il vit pauvrement.   Socrate conclue   en reconnaissant modestement qu’il ne possède par cette connaissance qui permettrait de bien éduquer un Homme.  L’ironie est encore ici présente car il pense au contraire que les sophistes n’ont aucunement cette connaissance.

 

 

 

Conclusion

 

Socrate a tenté dans ce passage de répondre aux accusations anciennes, aux rumeurs qui courent sur lui et qui l’assimilent soit  à un savant qui cherche à percer les mystères de la religion, soit à un sophiste qui enseignent aux jeunes l’art d’être habiles dans l’art de la  parole.  Mais  il  va devoir répondre à une objection : s’il n’avait vraiment rien fait de particulier, s’il ne s’était pas fait parler de lui ou démarquer, il n’y aurait pas eu d’accusations contre lui . C’est en sorte le principe « pas de fumée sans feu » qui prévaut dans l’esprit des juges. S’il s’était parfaitement tenu tranquille alors pourquoi aurait-il eu des plaintes contre lui ?    Socrate va devoir répondre à cela en reconstituant son parcours, son itinéraire dans un discours autobiographique.  

 

 

 

 

 



[1] Indications donnée par Luc Brisson dans son édition de l’apologie  GF, page 135 note 54